samedi 5 septembre 2009

Perdre ses racines

Ce matin, mon grand-père nous a quittés, confiant de rejoindre enfin celle qu'il a aimée pendant plus de cinquante-cinq ans et dont il se languissait depuis trop longtemps déjà. Il avait 87 ans, mais les dernières années ont été difficiles et j'avoue que ce départ, aussi triste soit-il pour ceux et celles qui demeurent, est une délivrance pour lui car la maladie s'entêtait à le voler un peu plus chaque jour bien qu'il ne lui resta pratiquement plus rien. Comme pour beaucoup de gens de cet âge, me direz-vous! Oui et non, que je vous répondrai.

Mon grand-père menait une bataille perdue d'avance, une bataille contre laquelle la médecine moderne a encore bien peu de munition, une bataille injuste et cruelle; il souffrait d'Alzheimer. Ce fléau est, pour moi, la pire des maladie de la vieillesse, la plus traîtresse, la plus inhumaine. Pernicieuse, l'Alzheimer commence par grignoter de minuscules portions du quotidien, oublis que la victime impute à la fatigue, au stress, à la vie qui va trop vite. Lentement, elle s'implante, s'appropriant des noms, des lieux, des visages ou des événements d'un passé récent. Puis elle accélère sa croissance, se nourrissant maintenant de souvenirs pas si lointain, obligeant sa victime à froncer les sourcils pour se rappeler, à chercher sans succès dans une mémoire défaillante. Au fil du temps, le mal s'enracine de plus en plus profondément, arrachant sans remords des pans entier d'une vie qui s'achève alors que sa victime, dans des moments de lucidité de plus en plus rare, affronte la douleur de perdre ce qu'elle a de plus précieux associée à celle de ne rien pouvoir faire pour freiner l'hémorragie. Cette impuissance que l'on voyait de moins en moins souvent dans les yeux de mon grand-père alors que la maladie avait consolidé ses assises, écrasant les dernières résistances...
Quand on est jeune, on a rarement conscience de la précarité de la vie tout comme du savoir de nos aînés. Je ne sais pas pour vous, mais je ne me suis pas assise avec mes grands-parents bien souvent pour discuter de leur vécus, de leurs souvenirs, de tous les événements heureux ou non qui les ont forgés, leur permettant d'être ce qu'ils sont devenus. J'ai fait ma crise d'adolscence, comme plusieurs, puis j'ai rêvé d'une vie que j'ai ensuite travaillé à concrétiser. Un jour pas si lointain, la maladie a frappé à ma porte, réclamant mon fils à cor et à cri, m'obligeant à m'incliner temporairement. Quand j'ai commencé à respirer plus librement, après avoir réalisé tous un tas de choses importante, et que je fus enfin prête à entendre ce que mes grands-parents avaient à me raconter, quand j'aurais eu davantage de temps pour le faire, il était trop tard. L'Alzheimer, ennemi sans pitié, avait déjà effacé mon identité de la mémoire de mon grand-père, s'échinant à faire de même avec tout ce qui lui tombait sous la main...
Aujourd'hui, je pleure une partie de ce que je suis qui s'est envolée, je pleure ce que je ne saurai jamais, je pleure surtout celui qui ne reviendra plus. Mais mes larmes ne sont rien en comparaison de mes espoirs en un monde meilleur pour mon grand-père, un monde où on lui aura restitué ce qui lui revient de droit et qu'on n'aurait jamais dû lui enlever: sa mémoire...

10 commentaires:

ClaudeL a dit…

En écrivant vos larmes, vous me permettez de pleurer aussi. Et si on n'a pas pris le temps d'écouter nos grands-parents, on peut toujours écouter les grands-parents de nos enfants. Et ensuite, témoigner, raconter.

Stéphanie a dit…

Mes sincères condoléances...

J'ai également perdu mon grand-père en novembre dernier, d'un cancer généralisé et je comprends la douleur et les sentiments contraires que l'on rescent (joie car il ne souffre plus, tritesse pour avoir perdu un être cher qui aurait pu tant nous apprendre et pour ne plus pouvoir profiter des bons moments avec lui) J'ai eu l'opportunité d'apprendre de mon grand-père, mais très peu car j'ai réalisé trop tard la valeur inestimable de ce qu'il avait à m'enseigner

Prend soin de toi et de ta famille.
Encore une fois toute mes condoléances

Stéphanie

Anonyme a dit…

Je suis de tout coeur avec vous.
Je vous offre mes condoléances.
PowerMom.

Isabelle Lauzon a dit…

Toutes mes sympathies, Elisabeth. Je comprends ta douleur, car depuis plusieurs années, je n'ai plus de grands-parents. Ils ont tous été emportés par la maladie, après une longue déchéance de leur corps. Toutefois, par chance, si j'ose dire, leur mémoire est demeurée intacte jusqu'à la fin.

Tout comme toi et la plupart des gens, je n'ai pas su poser les bonnes questions, je n'ai pas su démontrer l'intérêt qu'il fallait pour en apprendre davantage sur leur vécu. Je n'ai pas su m'arrêter pour écouter, je n'ai pas su m'ouvrir à ces quatre personnes qui auraient pu m'offrir un trésor de sagesse et d'expérience. Et maintenant, il est trop tard.

Ton témoignage me touche beaucoup et je te souhaite de passer au travers de cette épreuve avec sérénité. Que ton grand-père retrouve sa dignité de l'autre côté, dans un monde meilleur et auprès de son amour...

Elisabeth a dit…

Merci à vous quatre pour vos témoignages et vos messages d'espoir. C'est rassurant de savoir que l'on n'est pas seule dans l'épreuve...

Evelyne a dit…

Je te comprends tellement! Mon grand-père a 92 ans et lui aussi est atteint d'Alzheimer depuis des années. Il ne reconnaît plus personne et a probablement oublié le décès de ma grand-mère qui date de l'an passé. C'est vraiment une maladie qui tue à petit feu. C'est comme regarder la personne qu'on aime partir et s'éteindre très, très lentement. Et on est partagés entre le désir de la voir partir pour de bon pour qu'elle ne souffre plus et celui de s'accrocher au peu qui reste.

Anonyme a dit…

J'ai perdu une grand-mère de l'Alzheimer également. Ce que vous avez oublié de mentionné sur la maladie (ou ce que votre grand-père n'a pas vécu, par chance pour vous)c'est que parfois ils s'inventent des méfais et se chicanent avec leur famille. Ma grand-mère a coupé tous les liens avec nous à ce moment là, alléguant qu'on lui volait ses poignées de porte. Je n'ai donc aucun souvenir d'elle. Cela a également beaucoup touché ma mère.

Dernièrement, nous avons donc inventé une tradition: lorsqu'une tante devient grand-mère, on lui offre le livre "Dis-moi, grand-mère... - Le livre de la famille" d'Andrée Martinerie. Une façon de s'assurer que si les petits enfants ne prennent pas le temps de poser les bonnes questions, les grands-parents y ont répondu avant d'oublier ou de partir trop vite.

Je vous offre mes sincères condoléances.

Dionra a dit…

Bon courage en cette période difficile et toutes mes sympathies. Quelle maladie vicieuse que l'Alzheimer!

Mais quelle belle idée que ce livre "Dis-moi, grand-mère...". Ma mère et ma belle-mère le recevront pour Noël!!! Si on n'a pas saisi l'occasion d'en connaître davantage de nos grands-parents, je pourrai espérer que mon fils et ses cousin(e)s partageront le passé des leurs (et on pourrait en apprendre sur nos parents du même coup, qui sait!)

Elisabeth a dit…

Encore un merci à celles et ceux qui ont pris le temps de me laisser un mot.J'apprécie beaucoup.
@Anonyme: Un merci bien spécial à toi pour la référence de ce livre qui a l'air magnifique. Comme Dionra, je compte l'offrir pour Noël...

Stéphanie a dit…

Wow, un livre comme '' dis-moi grand-mère...- le livre de la famille'' semble super!!Il me reste au moins une grand-mère à qui je pourrais l'offrir :) Pour ce qui est de mes tantes... sa ira à dans 10 ans, mais je trouve l'initiative de l'auteur merveilleuse :)

Ps; plus que 19 jours :)